Design et soin : vers une posture du prendre soi

Nouvel épisode de Design MasterClass • Épisode #44

Au cœur de notre humanité, la notion de "prendre soin" se déploie dans une complexité renouvelée. Mais, que recouvre-t-elle véritablement et quelles instances sociétales sont les véritables références pour prendre soin des gens ? Bien au-delà des enceintes hospitalières et des structures de santé conventionnelles, il existe des responsabilités croisées.

Ainsi, le design devient un ambassadeur. En questionnant le soin, le design vise à réparer les dysfonctionnements des milieux et à s’intégrer dans les champs d'action du service public.

La France est confrontée à des défis majeurs dans le secteur de la santé.

D'ici 2026, une politique d'austérité prévoit 5,5 milliards d'euros d'économies, ce qui va affecter tous les aspects des soins, des consultations aux hôpitaux publics, jusqu’à la bonne santé des soignants et soignantes.

Dans le même temps, près d'un tiers de la population rencontre des difficultés à obtenir un rendez-vous. Cette réalité a pour conséquence que plus de 35% des Français et Françaises ont renoncé à des soins ces dernières années, un chiffre en augmentation.

Face à ces constats alarmants, une question essentielle se pose : comment continuer à garantir un soin digne, juste et accessible pour tous et toutes ?
Le design peut-il apporter un soutien pour concevoir des projets d'espaces et de services qui réinventent la convivialité, l’hospitalité ou la durabilité ?

Cet épisode n’est pas un épisode sur le « design de soin » (care design). Si le sujet vous intéresse, vous pouvez découvrir notre épisode 30, Design with Care : concevoir pour un monde vulnérable.
→ Écouter cet épisode

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Nos invitées

• Clémence Montagne, directrice du Care Design Lab de l'école de design Nantes-Atlantique.

• Justine Coubard-Millot, directrice du laboratoire de l'accueil et de l'hospitalité (Le Lab-Ah) du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences

• Anne Régnault, designeuse de service spécialisée en innovation sociale au sein des ateliers RTT.

Au sommaire de cet épisode

1️⃣ Chapitre 1 : nos invitées définissent la complexité du mot “soin” et leurs pratiques du design dans le milieu du soin.

2️⃣ Chapitre 2 : ce chapitre nous permet d’aborder deux projets qui explorent l’expérience de l’hospitalité.

3️⃣ Chapitre 3 : nous repensons le périmètre du soin et interrogerons comment prendre soin des soignants et soignantes pour un design responsable.

Parler de responsabilité et de vulnérabilité pour prendre soin

Restreindre le soin au domaine de la santé est réducteur. Le soin est un enjeu de société, un devoir citoyen et une responsabilité collective. Le terme francophone “soin” englobe à lui seul plusieurs significations. On lui préfère ses cousins anglophones “care” et “cure” permettant de définir un soin donné, un soin reçu, la posture du prendre soin, le devoir de prendre soin.

Comme le rappelle Joan Tronto, le "Care" est défini avant tout comme un rapport à la santé au sens très large, incluant tout ce qui relève du "Cure". Cette conceptualisation est très structurante pour le domaine du design, car elle invite les designers et designeuses à mobiliser leurs compétences, leurs outils et leurs techniques pour intervenir et améliorer des situations en se basant sur le rapport à la vulnérabilité et à la responsabilité.

Il existe une dialectique entre la personne vulnérable et celle qui donne le soin. Tout cela, en conférant aux personnes vulnérables un rapport de pouvoir et de capacité vis-à-vis de celles qui dispensent le soin.

Les travaux de Tronto mettent également en lumière une deuxième traduction du mot "care" en français, celle de la solidarité et de l'interdépendance. Cette vision élargie du soin implique une reconnaissance de la vulnérabilité universelle – qu'elle soit visible ou invisible, accidentelle, temporaire ou permanente – permettant aux designers et designeuses d'ancrer leur intervention dans une approche holistique qui ne réduit pas la vulnérabilité à des situations spécifiques de handicap.

Le périmètre du soin est politique

Le design peut également se transformer en allié de la démocratie et de la citoyenneté. Dans la perspective de Carl DiSalvo, le design vise à modifier les imaginaires sociotechniques en permettant aux citoyens et citoyennes - plutôt qu'aux personnes expertes - de co-construire les récits de leur environnement et d'exprimer leurs subjectivités. Cette expérimentation citoyenne refuse de reproduire les inégalités structurelles et cherche à inciter au changement social, en plaçant l'impact sur la communauté citoyenne au-dessus des intentions du designer et de la designeuse.

C'est une forme de soin qui rend autonomes les personnes en les intégrant activement dans la conception de leur futur.

C’est le cas du projet "Careful Coding" où les habitant·e·s décident des données à collecter et transmettre aux autorités. Le designer et la designeuse y sont des facilitateur·rice·s, où le design peut assumer sa dimension politique en soulevant les problèmes sociaux, économiques ou environnementaux qui freinent un projet civique. Cette approche ne se limite pas à produire de la fonctionnalité, mais cherche à susciter la réflexion et le dissensus, offrant ainsi une forme de soin en interrogeant la situation présente et en cherchant des solutions solidaires et interdépendantes.

Le périmètre politique du design reste à explorer et à documenter. L’épisode 45 sera l’occasion de découvrir d’autres projets de design de territoires et de collaboration avec les politiques publiques comme la sécurité sociale de l’alimentation.

💡Les points à retenir

• La pratique du soin ne se limite pas aux espaces médicalisés. Les espaces de convivialités et les formations demeurent des espaces et des temps dédiés à la solidarité et à l’écoute. Cette pratique du soin a besoin du design pour être valorisée et visibilisée.

• Il existe plusieurs personnes ambassadrices permettant de prendre soin : les enseignant·e·s des formations en design, les consultant·e·s, les pairs-aidants, les agents du service public ou les bénévoles sont tout autant précieux et précieuses pour déployer le soin.

• Le démantèlement et la privatisation du service public provoquent une homogénéisation des services et excluent des pratiques de soin. Par exemple, les cantines privatisées en milieu hospitalier, ne sont plus capables de proposer différentes consistances de nourriture pour s’adapter aux personnes atteintes de rhumatologie. Cet enjeux de soin bien identifié par les équipes soignantes a disparu des préoccupations de confort de soin.

• Les designers et designeuses ont besoin de se regrouper en initiatives pour se protéger et rendre visible les différents engagements de la communauté du design, celle du soin en particulier.

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Pour aller plus loin :

📚 Livres

C'est mon corps de Mai Lan Chapiron.
Cette BD explore sur le consentement et l’intégrité du corps des enfants.

→ Voir le livre

La langue des choses cachées de Cécile Coulon.
Ce roman investit le parcours d’une guérisseuse.

→ Voir le livre

Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa et Carbone avec les illustrations de Juliette Bertaudière.
Ce récit suit le voyage d’Emilie atteinte d'un Alzheimer précoce qui décide de partir voyager dans les Pyrénées, elle y délivre son parcours de soin.

→ Voir le livre

Le genre du capital de Céline Bessière, Sibylle Gollac et les illustrations de Jeanne Puchol.

Cet ouvrage explique comment la structure familiale reproduit les inégalités sociales entre les genres. Il explore les corrélations entre soin et politiques.

→ Voir le livre

Art et design dans les lieux de soin, pour une politique de l’hospitalité de Carine Delanoë-Vieux.
Cet ouvrage explore comment l’art contribue au design de soin dans les espaces médicalisés depuis les années 1990.

→ Voir le livre

📰 Articles

Le design à l’épreuve de l’éthique du care : retour réflexif pour un possible renouvellement des pratiques en design de Marine Royer et Denis Pellerin.
Cet article pour le 16ème numéro de la revue Science et Design, démontre comment les théories du care transforme les manières de penser et de faire du design.

→ Lire l'article

🎭 Histoires Vivantes

Arche de Gildas Milin et les élèves de l’ENSAD.
Cette histoire vivante est une fiction documentée autour de l’Hôpital de la Pitié-Sâlpétrière pour se souvenir du traitement des patientes en psychiatrie depuis la fin du XIXe, développée par Gildas Milin et les élèves de l’ENSAD de la promotion 2024.

→ Découvrir le projet

🎧 Emissions radio et podcast

Design de service : levier de l’expérience patient ?
Ce 10e épisode des Visionnaires Santé avec Denis Pellerin, questionne comment le design de services peut améliorer l’expérience des patients et patientes.

→ Écouter

Nawal Bakouri : quand le design des objets soigne aussi
Cet entretien interroge comment les environnements de soin et dans quelle mesure prendre soin de la conception d'un objet, est révélatrice du soin de son utilisateur·rice.

→ Écouter

📓 Thèse

La zone obscure du design. Une pensée des pratiques de conception (d’)après Gilbert Simondon, de Vincent Beaubois.
Cette thèse tente de visibiliser comment la philosophie de Gilbert Simondon à permis une compréhension renouvelée du design et des problématiques contemporaines qui l’entourent. Elle propose également de renverser l’image solvatrice du design : souvent dépeint comme une force de résolution de problèmes, d’innovation et de progrès, l’anthropo-technologie.

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🎓 Formation

Master DIS (Design Innovation Social) à Nîmes

Ce master est porté par Marine Royer, Béatrice Gisclar et par leur collègue sociologue-urbaniste Thomas Watkins. Il propose de former des spécialistes du deign en intégrant des enjeux socioculturels, politiques, environnementaux, économiques et éthiques.

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