Écoconception : vers la révolution green design ?
Nouvel épisode de Design MasterClass • Épisode #36
“La principale problématique c'est de faire des choses plus sobres. Et c'est là tout le rôle de l'UX que moi j'appelle green UX. On va s'orienter vraiment besoin utilisateur tout en faisant attention aux besoins de la planète.”
Christophe Clouzeau
De nombreux métiers se transforment afin de prendre en compte les contraintes écologiques. Le design n’échappe pas à ces évolutions. Qu’est-ce que l’écoconception ? Quelle est le rôle des designers et designeuses dans cette approche écologique de la conception numérique ? Et, comment ce “green UX” se met-il au service d’un design numérique plus sobre, plus frugal ?
Dans ce nouvel épisode, Christophe Clouzeau, Marie Verdeil et Laïla Tamani partagent leurs pratiques de l'écoconception numérique avec des cas concrets et des conseils qui soulignent le rôle crucial du design et son "soft power".
Nos invité•es dans cet épisode
Christophe Clouzeau est UX designer. Il est formateur chez Temesis sur les sujets d’écoconception. Temesis accompagne les entreprises et forme les équipes sur les sujets d’accessibilité, d’écoconception et de RGPD.
Marie Verdeil est designeuse pour Low←Tech Magazine. Elle a étudié à l’école d’Eindhoven et elle est spécialisée dans la création de sites internet écoconçus.
Laïla Tamani est UX/UI designer. Elle est en mission chez France Télévision.
Au sommaire de cet épisode
1️⃣ Chapitre 1 : nous définissons ce qu’est l’écoconception numérique, abordons les enjeux liés à cette pratique et les potentiels outils de mesure.
2️⃣ Chapitre 2 : nous nous intéressons aux projets concrets d’écoconception et aux étapes clés qui y sont associées.
3️⃣ Chapitre 3 : le dernier chapitre est consacré aux enjeux économiques qui encadrent ses pratiques ainsi qu’aux risques de greenwhasing.
Les chiffres clefs de l’impact du numérique
Pour préparer cet épisode nous avons pris le temps de parcourir les différentes études sur le sujet et compiler les données qui nous semblent importantes.
Les données disponibles expriment l’impact en équivalent CO2, une unité de mesure qui permet de comparer plusieurs émissions et de donner des ordres de grandeur. Cependant, il est important de prendre conscience que le numérique consomme d’autres ressources naturelles : énergie, métaux, terres rares, eau…
Concernant les émissions de CO2
En 2018, l’empreinte carbone de la France était de 445 Mt CO2 eq.
Le poids du numérique, c’est 2,5% de cette empreinte, soit 16,9 Mt CO2 eq. La fabrication des terminaux représente 78% des émissions, tandis que les usages sont de l’ordre de 21%.
A titre de comparaison :
C’est légèrement plus que le secteur des déchets.
C’est beaucoup moins que le secteur des transports qui représente environ 30% des émissions.
Au niveau des autres impacts
10% de la consommation électrique annuelle vient des services numériques.
62,5 millions de tonnes de ressources sont utilisées chaque année pour produire et utiliser le numérique.
Source : ADEME
En comparaison avec les transports…
L’aérien national, en 2019, c’est 5,4 Mt CO2 eq. (1,5% de l’empreinte totale de la France). Le numérique est donc plus polluant que l’avion !
Enfin, la voiture individuelle est, de loin, ce qui pollue le plus avec un total de 71,7 Mt CO2 eq.
Source : Ministère de la transition écologique
Il est important de noter que les données de 2018 et 2019 sont les plus fiables disponibles. A partir de 2020, suite à la pandémie mondiale et aux différents confinements, les données ne sont pas représentatives de la réalité ou des tendances à venir.
Une conclusion en demi-teinte
Cet épisode nous permet de mettre en lumière l'abondance de ressources disponibles en matière d'écoconception. Des formations en passant par les référentiels et les bonnes pratiques, les outils nécessaires pour intégrer ces principes dans la conception numérique semblent être à portée de main. Cependant, malgré cette richesse de ressources, une conclusion émerge : la vulgarisation du sujet demeure un défi majeur, surtout en ce qui concerne son application pratique par les entreprises.
L'écoconception dépasse largement le cadre du design pour devenir une question de transformation profonde de nos comportements et de nos usages. Les rapports de l’ADEME et de l’ARCEP soulignent que seule une approche axée sur la sobriété permet de réduire efficacement les impacts écologiques du numérique. Ainsi, l'écoconception est indéniablement nécessaire, mais son adoption généralisée est entravée par le défi de sa mise en pratique, surtout dans un contexte où la rentabilité financière prime.
Il est essentiel de reconnaître que, pour de nombreuses entreprises, ses principes semblent souvent déconnectés de la réalité. À moins de travailler pour une organisation à but non lucratif ou un projet expérimental, leur application peut-être irréaliste. En somme, si nous aspirons à intégrer véritablement l'écoconception dans le tissu économique, nous devons relever le défi de rendre ces principes non seulement accessibles, mais aussi pousser les entreprises à considérer que la croissance infinie n’est pas possible sur une planète aux ressources limitées…
Cela implique un changement profond dans notre façon de concevoir et d'utiliser la technologie, mettant l'accent sur la sobriété structurelle du numérique et remettant en question la pertinence même de la numérisation de certains usages et services. Seulement alors pourrons-nous éviter le piège du "greenwashing" et garantir une réelle durabilité dans nos pratiques de design.
Les points à retenir
L’écoconception vise à réduire l’impact écologique du numérique. Son levier principal est la sobriété. Pour y parvenir, il convient de commencer par réduire le poids des sites internet et des services numériques. La priorité est donc de commencer par “penser” la pertinence du contenu. C’est cette réflexion qui apportera la réduction attendue.
Dans cette démarche de conception écologique, le rôle du design est déterminant. Pourtant, la grande majorité des impacts écologiques viennent de la fabrication des terminaux (80%). C’est donc un sujet sur lequel le design à, malheureusement, un pouvoir limité.
Il est très difficile de mesurer l’impact exact d’un produit ou service numérique. Les calculs sont complexes, les méthodes existantes imparfaites et les outils limités, voir inexistants. Pour arriver à un résultat au plus proche de la réalité il faut avoir la capacité de calculer les impacts des terminaux, des serveurs et des usages. Les principaux référentiels ne donnent aucune valeur cible et aucune unité de mesure de référence. Il est difficile de réduire ce que l’on ne peut mesurer.
Les limites du technosolutionnisme deviennent de plus en plus évidentes. Il n’est plus possible de considérer que la technologie est “bonne” par essence, et que de nouvelles technologies plus performantes viendront résoudre les enjeux écologiques.
Il convient de repenser nos usages technologiques en profondeur : la solution n’est pas plus de technologie, mais plus de sobriété.
Enfin, l’écoconception numérique doit questionner le modèle économique des entreprises. Il n’est pas possible de réduire les impacts d’un côté pour faire plus de croissance de l’autre (effet rebond). Les croyances économiques libérales qui font de la croissance infinie une finalité, sur une planète aux ressources limités, sont une impasse.
Il convient donc que chaque designer et designeuse se saisisse de ces sujets afin de les intégrer des leurs pratiques quotidiennes.
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Pour aller plus loin
📚 Guides et référentiels
Le guide d’écoconception de services numériques
Designers Éthiques
eco-conception.designersethiques.org/guide/fr/
Référentiel général d'écoconception de services numériques (RGESN)
ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/referentiel-general-ecoconception/
Guide des 115 bonnes pratiques
Green IT
collectif.greenit.fr/ecoconception-web/115-bonnes-pratiques-eco-conception_web.html
NIG, un cadre de référence pour le Numérique d'Intérêt Général
www.numeriqueinteretgeneral.org
🧰 Outil
Ecoindex - par GreenIT
Un outil permettant de calculer l’empreinte écologique d’un site internet.
https://www.ecoindex.fr/
🔬 Études
Numérique : quel impact environnemental ?
ADEME
https://infos.ademe.fr/magazine-avril-2022/faits-et-chiffres/numerique-quel-impact-environnemental
Sensibiliser à l'impact du numérique sur le climat
ADEME
https://impactco2.fr/numerique
Evaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective
ADEME
La croissance des équipements et services numériques, souvent perçue comme dématérialisée, a également été associée à une augmentation significative des pressions sur l'environnement et les ressources naturelles.
Le numérique en Europe : une approche des impacts environnementaux par l’analyse du cycle de vie (NumEU)
GreenIT
🖥️ Sites internet et projets

LOW←TECH MAGAZINE
https://solar.lowtechmagazine.com/fr/
Limites Numériques
Limites Numériques est un projet de recherche entre design et informatique sur l’empreinte environnementale du numérique.
📰 Articles
Comment créer un site web basse technologie
LOW←TECH MAGAZINE
https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2018/09/how-to-build-a-low-tech-website/
Reconstruire un site web alimenté par l'énergie solaire
LOW←TECH MAGAZINE
https://solar.lowtechmagazine.com/fr/2023/06/rebuilding-a-solar-powered-website/
Les émissions de CO2 liées aux smartphones sont largement sous-estimées par les pouvoirs publics
Le Monde, 10 mars 2023
Le libéralisme, une forme de théologie où le marché est érigé en dieu tout puissant
Le Monde, 22 mars 2024
“Depuis une décennie, Naomi Oreskes et Erik Conway enquêtent sur les racines historiques et politiques de la remise en cause des grands résultats issus des sciences environnementales. Dans leur livre Les Marchands de doute (Le Pommier, 2012), les deux chercheurs se sont demandé pourquoi, dans une société qui valorise tant la science, certaines connaissances solidement établies sur le réchauffement climatique, les effets délétères des pesticides ou les liens entre santé et environnement étaient systématiquement mises en doute, y compris par des personnes pourvues d’une solide formation intellectuelle.”
Dans cet article, le journal Le Monde explique pourquoi le système économique libéral, et ses croyances, nie la réalité du changement climatique.
Le « solutionnisme technologique », cette foi en l’innovation qui évite de penser le changement
Le Monde, 22 mars 2023
Comment calculer (vraiment) l'impact carbone de ChatGPT ?
Generation IA, 28 avril 2024
https://generationia.flint.media/p/comment-calculer-vraiment-impact-carbone-de-chatgpt-climat-ia-eau
🎙️ Podcast
#16 - 17 Design et écologie. Concevoir pour habiter la terre
Design MasterClass
En 2021 nous avons réalisé 2 épisodes du podcast sur le sujet de design et de l’écologie. Nous abordons dans ces épisodes les notions d’écologie, de design circulaire et de design systémique.
Les personnes invitées dans ces épisodes sont : Justine Laurent (Designeuse - Circulab), Thomas Lemaire (Développeur - Green IT), Mélanie Laborde (Designeuse, OHU Design) et Fabrice Liut (Designer - Archipel Kyosei).